Accident

                                 ACCIDENT

       Je n’ai pas vu ce qu’il s’est passé et ne sais pas s’il y avait un témoin direct de l’accident. Elle était étendue là sur le macadam, sous le soleil brûlant du mois d’août. Elle ne bougeait plus, et pour cause : toute sa chair était à l’air libre, et des lambeaux de peau alentour, l’ensemble baignant dans un miroir liquide. Il était trop tard.

       Quelqu’un avant moi aurait-il pu la sauver ? Désemparé, je regardai tout autour de moi et ce que je vis dépassait mon entendement : personne ne semblait s’émouvoir du drame qui venait de se produire. Des gens passaient en évitant de tourner le regard vers l’image insoutenable et sans pudeur qui me pétrifiait. Quel est ce monde dans lequel on préfère pousser son chariot et vite rentrer chez soi pour ranger ses surgelés plutôt que tenter de sauver une vie ! Écœuré, j’imaginais ce qui avait pu se passer sur le parking ; quelqu’un avait peut-être fait une marche arrière sans la voir, car d’évidence elle était encore petite. Je voyais aussi la frayeur de la famille quand, à l’arrivée, la petite manquerait à l’appel, et à la honte aussi que chacun pourrait ressentir.

       Je fis part de mon émoi à Isabelle…

       Stoïque, elle me dit « Tu ne vas quand-même pas en faire une maladie, ça n’est qu’une courgette ».